Féminisation des fonctions

La féminisation d’une partie du vocabulaire français concerne essentiellement les noms communs des humains. Certains de ces noms, à l’imitation des adjectifs, sont ou deviennent alors aptes à s’appliquer aux deux sexes, donc à comporter une forme féminine. On a des cousins et des cousines, des voisins et des voisines ; il y a des paysans et des paysannes, des inspecteurs et des inspectrices. On aura donc, outre les proviseurs... des « proviseures ? »

La féminisation du vocabulaire, en France et en Francophonie, est un effet (souvent « collatéral ») de deux siècles (19e et 20e) d’histoire politique. Sous l’« ancien régime », les habitants du royaume étaient des sujets (le nom n’a pas de féminin) du souverain ; en 1789, ils deviennent des « citoyens » (…et citoyennes).

Auparavant, la modestie du sexe féminin se révélait dans l’ironie qui accueillait les « femmes savantes » de Molière – mais aussi dans le culte voué à une femme exceptionnelle, l’héroïne nationale, Jeanne d’Arc. Le métier des armes était réservé aux hommes de la noblesse – ainsi que la chasse en temps de paix. Aux femmes, les tâches ménagères et maternelles.

Notons que certains milieux n’ont pas connu (ou fort peu) ces mutations lexicales : le monde du clergé, celui des armées… inutile de s’y arrêter. Mais, depuis deux siècles, le monde des affaires, du commerce, celui des arts, du spectacle, de la mode recrutent de nombreuses femmes – et leurs filles.

La guerre de 1914-18, quatre ou cinq années durant, priva de nombreuses professions de leur personnel masculin, les obligeant à employer des femmes ; l’industrie lourde, travaillant pour les armées, dut confier à un personnel féminin des tâches que les aînées n’imaginaient pas. La féminisation des emplois, déjà très active, en fut accrue, entrant résolument dans les mœurs.

Les origines

Le vocabulaire français, en France ou en Francophonie, avait connu à toutes les époques l’apparition spontanée, dans l’usage populaire ou littéraire, de noms féminins symétriques d’un nom masculin, seul usuel précédemment. Dès l’ancien français, l’artisan qui fabrique le pain est appelé boulanger ; la femme (qui peut être son épouse), et qui vend ce pain, va tout naturellement être la boulangère ; dérivation banale, à l’imitation des adjectifs comme léger, légère.

Fin 19e siècle, on crée des lycées, dont les élèves sont des lycéens ; quand par la suite des filles sont admises dans des lycées, le féminin lycéenne, nom ou adjectif, est aussitôt adopté ; secrétaire fut d’abord masculin ; ce rôle ne fut longtemps confié qu’à des hommes, mais « ma secrétaire » devint banal au 19e siècle.

Dignités et mondanités

La naissance de ces noms féminins (professions, dignités, titres divers…) est une forme spontanée de néologie, liée à des faits sociaux, qui n’attirent pas l’attention, sauf quand les institutions changent. Là interviennent la coutume du pays, de l’époque, du régime politique…

Sous la royauté, les titres de noblesse, masculins, héréditaires, comportaient tous une forme féminine (princesse, duchesse, marquise…), portée par l’épouse ; il en fut de même pour la « noblesse d’Empire » instituée par Napoléon. Mais ce féminin n’existe pas pour les titulaires de la Légion d’honneur, également instituée par Napoléon I ; ce sont des titres militaires (chevalier, officier, commandeur…), non héréditaires, non partagés par les épouses, et dont le masculin seul est porté même même quand la décoration est portée par une femme.

Politique

Le monde électoral, en France, fut hésitant. Candidates et élues hésitèrent à féminiser les titres de député, sénateur ; celui de maire était embarrassant pour l’homonymie de son féminin ; personne ne féminisa le premier ministre quand, pour la première fois, le locataire de Matignon fut une femme.

Le gouvernement, lui, féminise parfois ses ministres et les députés ; le Journal officiel et la Documentation française connaissent des professeure, procureure, consule, etc. Plusieurs de ces féminins deviennent courants (au Québec plus qu’en France) dans la presse et dans l’usage.

Mais le cas de ministre a dégénéré en querelle au plus haut niveau de l’Etat. En 1998, le secrétaire perpétuel de l’Académie française reprocha publiquement au premier ministre d’avoir admis que ses services utilisassent l’expression : « la ministre ». Querelle « grammaticale » au sommet, répercutée dans tout l’Hexagone, et qui n’est pas close : le texte du futur tome 3 du dictionnaire académique condamne comme « faute d’accord » ce féminin ; les dictionnaires du commerce commencent à l’admettre, quoique « fautif » ; quant à l’usage, il suffit d’un coup d’œil sur le langage des médias hexagonaux pour constater que, sur ce point, leur vocabulaire viole sans cesse et sans états d’âme la norme académique. Depuis que plusieurs ministères importants ont été confiés à des femmes, et que plusieurs d’entre elles occupent une place importante dans l’actualité, les médias trouvent plus bref, plus expressif, plus réaliste peut-être, de dire ou d’écrire : « La ministre de… », plutôt que : « Madame X, ministre de… ».

Les ans ont passé, et il suffit d’ouvrir un journal ou d’écouter les informations de la télé ou de la radio pour entendre parler, sans la moindre réserve, de « la ministre de l’économie », ou de « la garde des sceaux ». Autrement dit, la norme de la langue nationale, dont - en France sinon en Francophonie – la responsabilité est confiée à l’Académie française, n’a pas résisté à la pression d’un usage, et la pratique des médias illustre cet usage... contraire à la norme.

Histoire des mots

L’histoire du vocabulaire nous fait découvrir des difficultés inattendues. C’est ainsi que le nom secrétaire, qui s’emploie aujourd’hui avec les deux genres, fut d’abord – et longtemps – seulement masculin ; l’idée de confier ses secrets à une femme semblait incongrue, et les dictionnaires l’ignorent jusqu’à la fin du 19e siècle. Mme de Sévigné, qui correspondait abondamment avec d’autres « femmes savantes » du monde, n’allait pas confier ses pensées à « un secrétaire », et fut des premières à avoir « une secrétaire » et à employer ce féminin, aujourd’hui banal… mais qui n’a figuré dans nos dictionnaires qu’après 1918, et ne fut accepté par l’Académie qu’en 1932.

Et si l’idéologie inspire des usages, qui sont souvent en avance ou en retard sur le « bon usage », la féminisation se heurte parfois à des aspérités invisibles du vocabulaire. Si le « médecin » est présent dans notre langage depuis des siècles, comment nommer les femmes qui, à une époque récente, se qualifient pour cette fonction ? les noms et adjectifs en -in (marin, voisin…) sont pourtant fertiles en féminins en -ine ; mais médecine occupe la place !

D’autres noms masculins rendent problématique une dérivation féminine : chef n’inspire que des suggestions de mauvais gout, sur des exemples aussi honnêtes que princesse, maîtresse, etc.

Pour et contre

Ne demandez pas à Orthonet si vous « devez » ou si vous « pouvez » employer un féminin néologique. (L’écrivaine, la maire, la professeure, ma successeure…).

C’est un choix qui vous appartient. – Pas de NORME pour la francophonie. – Il s’agit d’usages récents, diversement appréciés suivant les pays et les milieux. Orthonet vous informe, mais ne vous dicte pas vos choix... sauf parfois... ?

Dialogue

Je voudrais savoir si, dans le français moderne, « membre » peut être mis au féminin (« Elle-même, ancienne membre de l’association..., etc.)

Avant de poser cette question, avez-vous consulté quelque dictionnaire (récent, si possible) ? Toujours commencer par cette consultation de l’USAGE décrit par nos dicos !

Emploi évidemment néologique... et incorrect, car l’usage traditionnel utilisait, dans cette apposition, le masculin : « ...elle-même, ancien membre de... »).

Néologisme inutile, naïf et agressif.

Mais rien ne doit vous détourner d’interroger l’histoire de nos mots, qui vous réserve des surprises. C’est ainsi qu’à l’origine, le ministre est inférieur au maitre (d’école ?) : ces deux noms masculins, d’origine latine, proviennent des deux adverbes qui opposaient le plus (magis) au moins (minus). Le magister (notre « maitre ») c’est celui qui détient le pouvoir, secondé par les « magistrats » – Le minister et sa compagne, la ministra, ce sont les serviteurs, les humbles, chargés des besognes modestes.

L’histoire de notre vocabulaire préparait donc la promotion des ministres, y compris les titulaires féminines de quelques portefeuilles. Et d’autres langues que le français obéissent au même paradoxe lexical.

Dialogue

…dit-on Mme le professeur ou Mme la professeur ? Qu’en pense l’Académie française ? Merci d’avance

« on » dit les deux, suivant qu’ « on » approuve la féminisation, ou qu’ « on » l'ignore...

L’avis de l’Académie française ? Elle l’a réprouvée (article MINISTRE du Dictionnaire) ou l’ignore (articles « auteur, défenseur, écrivain, instructeur... » etc., tous définis « n.m »).

Le Dictionnaire vient de traiter le nom masculin « professeur » ; il n'accepte pas le féminin : « la professeur ».

Question sommaire, réponse sommaire ! D’abord la féminisation de nombreuses fonctions est variable dans les Etats francophones, et les néologismes qui y naissent varient considérablement, dans leurs formes et dans leur emploi, d’un pays à l’autre.

On peut admettre qu’un nom comme auteur (d’un acte, d’un geste, ou d’un écrit) puisse qualifier une femme aussi bien qu’un homme : « elle est l’auteur d’un roman », comme un nom féminin peut qualifier un homme : « Il a été la victime d’un vol ». Et l’adoption, par l’usage, d’emplois ou de formes féministes, dans les médias francophones et dans l’usage populaire, est diverse et souvent aléatoire. Enfin, dans un domaine où la polémique est fréquente entre les audaces provocantes des uns et les indignations puristes des autres, Orthonet apprécie en observateur, en grammairien parfois, mais non en polémiste. La réponse ci-dessus constate, pour la France (seule en cause…), la constante opposition académique à l’extension d’un emploi au féminin de noms traditionnellement masculins, mais observe aussi son extension dans l’usage.

La féminisation dans l’usage et dans les dictionnaires

La langue française a l’avantage de disposer de plusieurs dictionnaires « de langue », destinés au grand public, et très consultés : volume unique, vendu en librairie, mais aussi dans les grandes surfaces, en édition annuelle. Ils suivent de près l’évolution du vocabulaire, et peuvent dans bien des cas l’orienter.

Orthonet, souvent consulté sur des féminins néologiques, ne manque jamais de citer le témoignage du T.L.F. et la solution des dictionnaires récents. Or ceux-ci doivent-ils suivre l’usage ? ou le précéder et l’orienter ?

Les lexicographes doivent-ils attendre qu’une femme, en Francophonie de préférence, exerce la chirurgie pour admettre dans leurs nomenclatures la forme chirurgienne, qui ne pose aucun problème de morphologie ? Ou faut-il, en attendant cette révélation, garder l’entrée : chirurgien n.m. ?

Tant qu’on n’a pas rencontré, fût-ce en Belgique, de femme actionnant un carillon, le féminin carillonneuse est-il proscrit ?

Certains pensent que dans le monde actuel, où se dénomment chaque semaine des spécialités nouvelles en –iste ou en –logue, et même en -eur/-euse, ces néologismes naissent avec les deux genres, et il est normal de les entrer comme noms, plutôt que comme « n.masc. ».

INFORMATION : De Belgique, Orthonet a reçu avec intérêt des nouvelles d’une carillonneuse, et peut donc rassurer toute la Francophonie sur la légitimité de ce féminin, encore ignoré par nos dictionnaires.

Dialogue et néologie féminisante

Je suis « responsable financier » et me demande si je ne devrais pas écrire « responsable financière ». Merci d'avance pour votre aide

Dans votre milieu professionnel, a-t-on admis et pratique-t-on déjà la féminisation de titres comme le vôtre ?

Sinon, comment serait accueilli votre geste d’indépendance ?

Documentation

FRANCE

Femme, j’écris ton nom. Guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions. - Paris, 1999 ; 124 p. ISBN : 2-11-004274-5.

BELGIQUE

Mettre au féminin Guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre. 2e édition. Bruxelles, 2005. 80 p