Lectures

L’orthographe française est difficile. Pourquoi ?

Les difficultés de notre orthographe ont plusieurs raisons, dont la plupart sont d’ordre historique.

Et d’abord le fait que, comme la plupart des langues européennes, le français a hérité de l’alphabet du latin, qui n’a que 23 caractères, alors que le nombre des phonèmes à transcrire est supérieur à 30 ; d’où une série d’artifices et de conventions : création de « signes diacritiques » : accents, cédille, etc. – emploi de « digrammes » (suite de 2 caractères) la voyelle des mots « chant, pont, vin, brun, mou, fleur, bleu » n’existait pas en latin, et ne figure pas dans l’alphabet ; de même pour la consonne initiale de mots comme « chant », genre, juste, zèle ».

Depuis l’époque du moyen français (15e et 16e siècles), un grand nombre de fins de mot ont cessé de se prononcer, mais subsistent dans la graphie : « cham(p), chan(t), chan(ts), chant(es), chant(ent). » Des mots ainsi devenus « homophones » dans l’oral ne sont pas devenus « homographes » dans l’écrit, qui continue à les distinguer et à éviter des ambigüités, plus gênantes à l’écrit qu’à l’oral.

Quand on commence à imprimer du français, on s’appuie sur le latin, utilisé et fixé depuis des siècles, et l’orthographe du mot français rappelle souvent celle du mot latin. Ainsi la voyelle des mots « camp, camps, champ, champs, grand, grands, enfant, enfants, récent, récents, vend, vends, sent » est complétée par des consonnes muettes qui continuent les finales des mots latins « campum, campos, grandem, grandes, infantem, infantes, recentem, recentes, vendo, vendis, sentit ».

De nombreuses consonnes finales, devenues muettes au cours de l’histoire, sont conservées pour l’unité d’une famille de mots : « grand (grandir, grandeur…) ; camp (campagne, camper…), etc.

La graphie des mots français a commencé à se stabiliser au 16e siècle, et ce sont surtout les imprimeurs qui y ont contribué. Au cours du 17e siècle, l’Académie française, qui élabore son premier dictionnaire (publié en 1694), s’interroge sur la meilleure façon d’écrire les mots, et favorise les graphies qui rappellent l’origine latine, mais tient cependant compte de la prononciation.

Ainsi un grand nombre de formes contenaient un e devant voyelle qui avait cessé de se prononcer : on écrivait « eage, seur, asseurer, asseoir, il eut, », mais on prononçait « age, sur, assurer, assoir, il u ». Dans un certain nombre de formes, les académiciens remplacent cet e par un circonflexe : « âge, sûr », etc. ; dans d’autres, l’e disparaît sans laisser de trace : « assurer » ; mais il est conservé dans « asseoir » (rectifications de 1990 : « assoir »), ainsi que dans les formes du verbe « avoir ».

La réforme orthographique la plus importante a été adoptée par l’Académie pour la 6e édition de son dictionnaire (1835). Un grand nombre de formes s’écrivaient avec un digramme –oi- qui était prononcé è (et non – wa–  comme on se l’imagine parfois) : « foible, monnoie, anglois, connoître, j’avois, il feroit », etc. ; on décide de remplacer ce digramme par –ai- : « faible, monnaie, j’avais… », etc. – Le pluriel des noms et adjectifs en –ant et –ent s’écrivait –ans, – ens : « des enfans imprudens » –  Pour éliminer cette exception à la règle générale du pluriel des noms, on décide de les écrire –ants, – ents : « des enfants imprudents ». La voyelle i, en fin de mot, s’orthographiait généralement y : « voicy, moy, vray, luy », etc. ; ces y disparaissent, (sauf dans les noms propres : Choisy, Orsay, Berry, Le Puy », etc.). Ces modifications ont été rapidement appliquées par les auteurs, les éditeurs et les imprimeurs ; après 1850, même les textes classiques sont édités en orthographe nouvelle.

Depuis un siècle, les projets de réformes ou de rectifications orthographiques ont été nombreux, sans parler des arrêtés ministériels instituant des « tolérances » aux examens.

NOTE.

Cette LECTURE, provisoire, ne comporte pas de conclusion. Elle est soumise à la discussion et aux remarques de ceux qui auront pris la peine de la lire. La messagerie d’Orthonet attend leurs avis.

La « nouvelle orthographe » ?

Les rectifications de 1990 ne constituent pas une réforme de l’orthographe, et n’apportent à l’usage actuel qu’un très petit nombre de formes nouvelles. Ainsi dîner ou gouter peuvent maintenant s’écrire ou s’imprimer sans circonflexe, mais la « forme traditionnelle », avec son accent, reste correcte « jusqu’à ce que l’usage ait fait son choix », a décidé l’Académie française le 17 janvier 1991. De même, quelques formes nouvelles comme charriot (deux r comme charrette), interpeler (conjugué comme appeler), ou imbécilité (avec un seul L), succèdent à chariot, interpeller, imbécillité), sans toutefois les éliminer. Mais, dans un texte courant, il faut lire beaucoup avant de rencontrer une forme (à part la règle des accents) qui a été réformée –  ou aurait pu l’être ; une expérience sur le Proust de la Pléiade ne relevait qu’une forme à réformer sur 8 pages.

Deux cas, pourtant, créent des « règles » nouvelles.

L’un concerne l’accentuation. La voyelle E, en fin de syllabe à l’intérieur d’un mot se prononce en è (E ouvert) dans des mots comme avènement, chère, crèmerie, évènement, frère. etc., quand la syllabe suivante contient un E atone (dit « muet »). Il en résulte une orthographe nouvelle pour les futurs et conditionnels de quelques verbes : formes nouvelles : cèderai, cèderait, époussètera, etc.). Seules exceptions conservées : les mots où l’orthographe traditionnelle transcrit l’è ouvert par l’emploi du circonflexe : fête, fêtera, prêtre, gênerait, etc. – les mots médecin, médecine, pour tenir compte de la prononciation courante (dissyllabique) de ces noms.

L’autre concerne les innombrables composés du type compte-gouttes, porte-drapeau, brûle-parfum, gratte-ciel… (forme verbale + nom commun), où les traditions contradictoires étaient fréquentes, pour les pluriels surtout, comme les hésitations pour les nombreux néologismes de ce type. Une solution proposée par J. Hanse a été intégrée aux les rectifications, c’est de traiter le composé comme un mot simple et de ne donner la marque du pluriel qu’au composé. Cela consiste à attribuer l’-S non au second terme du composé, mais à l’ensemble du composé. Cela permet d’écrire des composés avec un s au singulier : un compte-gouttes, et des pluriels sans cette marque : des porte-drapeau, des gratte-ciel, etc.  Mais quand le sens dicte une graphie, on peut préférer lui obéir, et faire compte-gouttes, essuie-mains invariables avec la marque de pluriel, mais écrire des porte-drapeau, des gratte-ciel, des cache-col sans cette marque ; quant à brûle-parfum, on peut hésiter, ainsi que pour d’innombrables néologismes comme lave-linge, ouvre-boite, cache-flamme… Alors tant pis pour le sens : on pourra écrire des gratte-ciels, des porte-plumes, et inversement un compte-goutte, un sèche-cheveu, en imitant l’usage –  et l’Académie –   qui, en soudant portefeuille, et même avant de le souder, ont négligé le sens.          

Si vous avez du temps à perdre, et si votre dico est récent, un jeu : que dit-il du pluriel des cache-col, cache-flamme, cache-misère, cache-pot, cache-sexe, cache-tampon… etc. ? Vous laisse-t-il toujours ou souvent la décision ?

 Celui qu’Orthonet a soumis à cette épreuve a confirmé un pluriel inattendu : des cache-nez.

Ayez compréhension et indulgence pour les rédacteurs de « dicos », prévenants, mais prudents !

Les noms. Accord ? ou Choix de sens ?

Pierre a un commerce de vin. Il a mis sur sa porte : Marchand de vin. 

Paul a un commerce de vin. Sa profession : Marchand de vins.

Les noms communs ont un genre ; chacun est ou masculin, ou féminin ; vous n’y pouvez rien : c’est un « fait de lexique ». Mais les noms ont aussi un « nombre » : chacun peut s’employer au singulier ou au pluriel ; et quand vous l’écrivez, il faut choisir : vin, ou vins.

 Ne parlez pas d’ « accord »!   –    LES NOMS NE S’ACCORDENT PAS !

Ils n’obéissent qu’au SENS, et c’est celui qui parle ou qui écrit qui est seul maître du sens.

Au marché, j’achète du beurre ; c’est un achat de beurre. Le commerçant vend plusieurs sortes de beurres ; sur son enseigne : « Beurres, fromages, lait ».

À l’oral, beaucoup de nos noms se prononcent de même au pluriel et au singulier. Le plus souvent, le nombre n’est marqué que dans la forme écrite. Quand vous parlez d’un « bulletin d’information(s) », vous ne choisissez pas entre l’information et les informations.  Si vous l’écrivez, vous devez choisir, et personne ne le fera à votre place.

 « On écrit SANS FAUTE, et non SANS FAUTES – Dans une expression négative, il faut le singulier… « 

 EST-CE VRAI ? 

 Non ! C’est une légende ! On peut nier une pluralité, aussi bien qu’une unité.

« Un vêtement sans ceinture (singulier), sans manches et sans poches (pluriels) ».

« Ecrire une lettre sans faute »… ou : «  …sans fautes ».  CHOISISSEZ, suivant l’idée que vous avez du scripteur, de son orthographe, et de la longueur de ses lettres...

 « Une cité qui n’a ni hôpital (en général, il y en a un), ni foyers (plusieurs, peut-être) ».

« Journée sans nouvelle » ou : « sans nouvelles » ? On attendait une nouvelle, ou des nouvelles ?

« L’accident n’a pas fait de victime » … ou « : de victimes » ?  –  Celui qui écrit sait si l’accident aurait pu faire une victime (chute de cyclistes) ou des victimes (déraillement d’un train). « 

C'est un CHOIX DE SENS, de bon sens ! L’autre choix ne serait pas une faute…de grammaire).

PLURIEL + SINGULIER ?

Au pluriel de : « journée de vente », faut-il mettre un -s à « vente »?

Oui, si vous pensez à « des ventes ». Non, si vous pensez à « la vente ».

Comparez : « des vêtements de travail –  les éclipses de soleil –  un livre pour enfants –  des livres d'histoire –  un roman à épisodes –  les récoltes de blé –  un achat de skis –  des vacances de neige –  etc.

Le nombre du premier nom et le nombre de son complément sont indépendants.

Ce ne sont que des CHOIX DE SENS !

Ne dites pas : « Quelle est la règle ? » –  Dites : « Tel est mon CHOIX ! » 

Un vieux truc. Interrogez votre oreille !

À l’époque du règne des dictées, tous les collégiens connaissaient un truc à peu près infaillible. Le maître dicte : « …la pièce que je vous ai fait étudier … »  Et pour ce dernier mot, l’élève hésite :  étudié ? étudier ? étudiez ? – Va-t-il se lancer dans une savante analyse (participe ? infinitif ? indicatif ? …) ? Non ! Il appelle au secours un autre verbe, servir, qui a des formes bien distinctes :  servi, servir, servez ».  Et cela donne, sans analyse : « …que je vous ai fait servir », donc : étudier.

Quand on hésite entre des formes verbales qui se prononcent de même (des « homophones »), le « truc », c’est de passer à un verbe où les mêmes formes ont des finales différentes. Autrement dit, dans un cas où l’écrit exige un choix qui n’existe pas dans l’oral, on propose à l’ORAL un autre exemple qui l’oblige à choisir entre deux formes qui ne se prononcent pas de même.

Là où l’OEIL hésite, l’OREILLE vient à son secours.

Exemple classique :  par négligence, par paresse, certains confondent je viendrai et je viendrais, ce qui donne des non-sens comme : « je voudrai savoir si… » (à quoi Orthonet, ironique et méchant, rétorque : « Quand voudrez-vous ? » –   Un passage au pluriel suffit pour ne plus hésiter : « Nous voudrions » convient, « nous voudrons » est choquant. L’erreur sur la 1ère personne, due à une prononciation négligée, est corrigée ; conditionnel et futur ne se mélangeront plus.

Certains hésitent entre ce et se, entre ces et ses (« entre démonstratif et possessif », rectifie le grammairien… Si le sens ne vous suffit pas, essayez de remplacer ce possessif et le mot qui suit par : celui-ci ou ceux-ci.

Certains, dans un contexte obscur, flottent entre c’était et c’étaient, qui se prononcent de même ; on peut essayer un présent, ou un futur : c’est/ce sont – ce sera/ce seront.

Hésitation entre un indicatif et un subjonctif : …que vous voyez/voyiez » ? essayez :  …que vous savez/sachiez.

Ainsi pour le genre : si l’œil hésite entre réels et réelles, on remplace par nouveaux/ nouvelles.

Hésitation entre un indicatif et un subjonctif : …que vous voyez/voyiez » ? essayez :  …que vous savez/sachiez.

Ainsi pour le genre : si l’œil hésite entre réels et réelles, on remplace par nouveaux/ nouvelle

Peut-on réformer, corriger, améliorer l’orthographe (lexicale) ?

Nous parlons ici, d’abord, de l’orthographe lexicale, puisque les décisions de 1694, 1740, 1835 et 1990 ne touchaient qu’à une faible partie du lexique, et non à la syntaxe ; ce qu’en 1990-91 les adversaires de la « réforme » et les défenseurs des « rectifications » ont été unanimes à ignorer ; car en fréquence, leurs effets étaient minimes (une « forme nouvelle » sur 6 ou 8 pages) ; ils ne concernaient pas l’enseignement de l’orthographe (sauf une prudente simplification de l’accentuation).

Aujourd’hui le premier obstacle à tout projet de « réforme », qu’il soit prudent ou radical (type « Yaka… »), est un problème international : une certaine unité linguistique de la Francophonie étant une réalité fragile, mais salutaire, aucune action sérieuse ne peut être envisagée sans un consensus supranational (projet, contenu, adaptation future aux normes légales et aux usages légaux, scolaires, éditoriaux… de chaque Etat (francophone) ; elle serait insolente sans une consultation d’autres Etats, non francophones, où la langue française est pratiquée et enseignée.

Le mondialisme a des effets linguistiques dont le phénomène Internet est l’aspect le plus apparent. Un idiome (langue d’Etat ou dialecte local) n’obtient l’accès à la communication internationale qu’avec un alphabet et son mode d’emploi. Des linguistes, vers 1950, annonçaient que l’informatique naissante exclurait ou compromettrait l’usage du français, en raison de ses signes diacritiques, au profit de l’anglais. Cette prophétie fut démentie par la réalité ; mais l’alphabet latin, complété et adapté dans un grand nombre de langues d’Etats, crée une unité, à laquelle ne s’opposent que des systèmes graphiques totalement différents. D’autre part, entre les langues d’Etat de l’Europe, des Amériques, de l’Australie et d’une partie de l’Afrique, des pans entiers du lexique (surtout scientifique et médiatique) sont communs ou très proches.  Une langue qui soudain ferait bande à part s’isolerait imprudemment.

La prudence ou l’audace d’une réforme (lexicale) doivent être mesurées non par le nombre des unités modifiées, mais par leur fréquence dans l’écrit (médias, dont la télé d’abord, et l’édition ensuite). Fréquence des mots ! Le remplacement de chariot par charriot concerne 3 occurrences sur 100 000 mots ; le remplacement de qui et que par chi, che (devenus usuels en italien) ou « ki, ke ? » y feraient naître près de 3000 monstres ; aucune page ainsi « rectifiée » n’y échapperait. Impensable ! Une « réforme » à base phonétique est du domaine du bavardage, du rêve, ou plutôt du cauchemar. 

Mais… et l’orthographe syntaxique ? Assouplir plutôt les redoutables « accords » ? La tradition française, en l’espèce, est souple.  Elle se fonde, sans trop le dire, sur la pratique des « bons » écrivains.  Après un mécompte en 1932, l’Académie a renoncé à publier une grammaire officielle, et traite les difficultés au cas par cas. Quand une tradition faiblit dans l’usage des bons auteurs (dont les membres de la compagnie), quand une « faute » devient fréquente, on tolère, puis on fait évoluer le bon usage. Ainsi fut assouplie, sans bruit, la célèbre « concordance des temps », encore vénérée par ceux qui en ignorent les vraies prescriptions. Et c’est un domaine où la norme est complexe, et moins lisible que celle, lexicale, des dictionnaires. Laissons faire le temps !

Grammaire Usage Norme

Le mot GRAMMAIRE, que tout le monde connaît, figure rarement dans Orthonet ; raison de plus pour s’en expliquer ici. USAGE est banal, et s’emploie aussi bien pour la mode que pour le langage. NORME est récent (absent dans le Littré, adopté en 1932 seulement par l’Académie) ; mot assez savant ; mais que chacun comprend quand il s’applique à quelque technique comme la tuyauterie ménagère ou l’électricité domestique. Nous l’appliquons ici au langage, et il convient de dire pourquoi et comment.

 La grammaire d’une langue, c’est tout ce qu’il faut savoir pour la parler et – surtout ! – pour la lire et l’écrire ; « sachant lire et écrire », et son contraire, étaient des formules qui, naguère, figuraient dans de nombreux documents officiels pour caractériser le degré de culture d’une personne. La grammaire, c’est surtout ce qui dépasse la connaissance naturelle de l’idiome, celle que l’enfant acquiert par son contact naturel avec les adultes, mais c’est surtout ce qui, pendant la scolarité, ajoutant l’écrit à l’oral, viendra compléter ces acquisitions spontanées ; et c’est le nom du livre qui, pendant l’école ou plus tard, expose ce qu’il faut savoir pour bien comprendre et utiliser correctement la langue, tant à l’écrit qu’à l’oral.

Le mot USAGE s’applique à d’autres activités humaines que le langage : l’alimentation, le vêtement, les loisirs… ; il implique la variété, les choix, collectifs ou personnels, et leurs qualités. Pour le langage comme pour la mode, il y a de bons usages, et de moins bons : on aborde ici les différences sociales, et les jugements de la collectivité.

Entre le « bon usage » et la NORME, la limite est souvent floue. La norme, elle, est catégorique sur la limite entre « correct » et « incorrect » ; elle dote la langue de RÈGLES, définit et dénonce avec fermeté la « faute » ; son règne crée des lois, que résume le terme d’ORTHOGRAPHE. L’usage reste plus nuancé. On admet qu’il y a des degrés entre le meilleur usage et le pire charabia. L’usage, créé par la collectivité, largement spontané, est socialement et régionalement varié. Il est instable, imprévisible, capricieux, comme toute mode. Naguère, en France, personne (homme ou femme) ne sortait et ne circulait nu-tête…, et la coiffure était une des caractéristiques sociales de la personne. Jadis (vers 1830), la correspondance appliquait la « concordance des temps » : « Je voudrais que vous vinssiez... ». Modes, usages périmés !

La norme est artificielle, créée par des spécialistes, définie et imposée par une autorité, comme les lois. Elle est indispensable dans l’enseignement, nécessaire comme langue d’Etat, utile pour l’information et les médias, précieuse pour la diffusion de l’écrit et pour toutes les formes de la culture.

La norme a deux faces : il y a une grammaire (morphologie, sémantique, orthographe du mot) donc « lexicale », et une grammaire (id.) de la phrase. Le terme de « grammaire », pertinent dans les activités scolaires, mélange et souvent confond les deux réalités. Un exemple auquel Orthonet se heurte chaque jour : la syntaxe du nom commun. Les difficultés qui inquiètent nos visiteurs, et qu'ils exposent dans notre messagerie, aboutissent souvent à d'impérieuses questions : « Quelle est la règle ? » –  « Y a-t-il une règle ? ». Il faut alors isoler le « fait de lexique », et convaincre qu’il n’existe pas de « règle » à son sujet. Orthonet doit le répéter sans relâche : « Le lexique n’obéit à aucune règle ». À des « pourquoi » parfaitement justifiés devant les nombreuses incohérences de la norme, la seule réponse est alors une plongée dans le passé, une petite dose d’histoire de la langue souvent accueillie avec curiosité. Rassurante évasion des austérités de la norme.

Si l’usage et les usages varient, socialement et géographiquement, la norme linguistique est liée à l’Etat et à son autorité. En France, c’est François 1er qui, en 1539, fit du français la langue du royaume. Sous Louis XIII, le Cardinal de Richelieu créa en 1635 une Académie françoise avec la tâche de fixer la norme de cette langue. D’où le Dictionnaire, dont 8 éditions se sont échelonnées de 1694 à 1935, et dont la 9e est, depuis 1990, en cours de publication.

La question se pose pour Orthonet, émanation d’un organisme supranational, le CILF, de considérer que les autres Etats où le français a un rôle de langue nationale peuvent appliquer cette même norme, ou en avoir élaboré une autre en fonction des usages nationaux. (Texte provisoire)

Grammaire, syntaxe, lexique

Un mot que vous ne rencontrerez guère dans Orthonet : GRAMMAIRE.   

Un autre, fréquent dans notre messagerie, REGLES, mais surtout dans la contradiction.     

L’enfant apprend le langage et la langue dans l’entourage familial, puis dans un milieu plus varié, avant d’entrer en contact avec l’écrit. Il dispose déjà d’un usage (peut-être plusieurs…), qu’il complète et corrige sans cesse. Puis vient l’âge scolaire (parfois anticipé en famille). Cela commence par l’alphabet (amusant !), puis les images de mots – révélation de l’orthographe – et la notion de règle, avec son complémentaire : la faute. Pour ne pas faire la faute, il faut appliquer la règle. Et les règles, il faut les apprendre, avec leurs glorieuses exceptions du type bijou… pou.

C’est l’entrée en scène de la grammaire. Et cette discipline (avec le double sens du terme) règne dans tous les épisodes de l’apprentissage. Aussi bien pour les mots (banc, ça prend un ?), les suffixes : « quand faut-il écrire  –ant comme dans méchant, ou –ent comme dans  prudent ? » –   pour les conjugaisons (donne-moi, donnes-en deux, donne-m’en deux ???). Et les « pourquoi » sont souvent dans l’impasse : « C’est la règle ».  C’est trop tôt pour expliquer à l’enfant que le vocabulaire n’a pas été construit en un jour, qu’il a une histoire compliquée, qu’à de époques différentes des choix différents ont traité différemment des cas semblables… etc. –  Donc, hélas, presque toute l’orthographe lexicale ne requiert que l’obéissance à la règle.

Ceux et celles qui demandent à notre site aide, conseils et parfois explications sont des adultes, et non des gamins ou gamines du cours préparatoire. On peut leur révéler : 1) qu’il y a deux orthographes – et 2) que si la « règle » domine l’orthographe syntaxique, elle est de peu d’usage dans le lexique.

Orthonet n’abuse pas du « jargon des linguistes » mais adopte résolument les termes de lexique et de syntaxe, peu scolaires, mais accessibles en partant des notions banales de « mot » et de « phrase ». On en arrive ainsi à écarter l’appel à la « règle », en invoquant le « fait de lexique ».  Exemple : quand Orthonet est invité à choisir entre « commencer à » et « commencer de » par un inquiet ou une inquiète, qui patauge dans la syntaxe des prépositions à et de : « Quelle est la règle ?  Y a-t-il une règle ? », la réponse est : « Inutile d’explorer une grammaire ! Fait de lexique – ne concerne que le statut du verbe en question ; l’arbitre est donc votre dictionnaire, à l’article commencer ». 

Orthonet n’enseigne pas. Ses (fidèles ?) visiteurs sont des adultes, francophones en majorité, ayant quelques souvenirs scolaires (lointains, et souvent confus), mais accessibles à des explications qui n’avaient pas leur place à l’école ou au collège. Si en France l’enseignement de la langue nationale ne laisse pas, aux « anciens élèves », des idées claires et une sécurité dans son emploi (écrit surtout), c’est qu’il s’arrête trop tôt.

La prononciation

Nos premiers dictionnaires négligeaient la prononciation des mots, leur orthographe étant leur vraie figure dans le monde. On écrivait : « Je suis seur, nous sommes en seureté », puisque chacun savait que ces mots se prononcent comme pur et pureté ; inutile de signaler que compter se prononce comme conter, ou que dans la sculpture, le P n’est qu’un ornement. Ce n’est que progressivement qu’apparurent des mises en garde : l’oral manifestait sa présence : des lettres parasites furent remplacées (1740) par des accents (sûreté, âge, fête, hôte…) ; l’écrit résistait dans ils eurent, j’ai eu… Et asseoir ne cède pas facilement la place à assoir. Mais les dictionnaires de langue sont moins avares de données phonétiques, certains donnant même, dès l’entrée des articles, la prononciation (usuelle ? recommandée ?) de tous les mots.

Dans la messagerie d’Othonet, l’écrit règne en maitre, l’oral est timide, accidentel, vaguement suspect. À plusieurs reprises, on nous a demandé pourquoi dans ville le digramme LL ne se prononce pas comme dans les mots fille, bille, etc. ; mais personne n’a mis la graphie en question, personne ne s'est demandé pourquoi on a adopté le même couple de lettres pour des mots qui ont deux prononciations distinctes ? Même respect devant la solidité de l’écrit dans second, oignon, nation, faisait…  même surprise gênée d’entendre segon, ognon, nassion, fesait…

Répondre à des questions de ce genre exige souvent un peu d’histoire ; celle de l’orthographe est assez connue.  Quant à la prononciation, sa chronologie est forcément sommaire, et les différences régionales peu accessibles. Mais pour le présent, le plus difficile est de distinguer entre une norme, un « bon usage », et… des usages. Pour la norme, les recommandations d’il y a un siècle sont souvent périmées ; elles décrivent comme normal un bon usage de l’époque, dont des traits entiers ont disparu (pour les liaisons surtout).

Dans les dictionnaires récents, les données lexicales sur la prononciation (recommandée ou usuelle) sont devenues plus nombreuses, jusqu’à figurer dans chaque entrée. Et plusieurs ont adopté la transcription en alphabet phonétique ; leurs lecteurs font-ils bien l’effort de s’en instruire ? 

Sur la prononciation lexicale, l’exposé normatif le plus récent est celui de Léon Warnant : Dictionnaire de la prononciation française dans sa norme actuelle. Ed. Duculot, 1987.  On y trouve d’utiles données de phonétique articulatoire, des tableaux des phonèmes d’une vingtaine de langues très diverses ; et, exceptionnel, quelque 280 pages de noms propres de partout et de tous les temps, avec la façon dont les articulent les Francophones.

Quant à l’usage, les résultats d’une enquête limitée, mais d’une rigueur et d’une précision exceptionnelles sont exposés dans le Dictionnaire de la prononciation française dans son usage réel.  Résultats d’un sondage effectué avant 1973 par Henriette Walter, sous la direction d’André Martinet. Les mots (environ 10 000) ont été soumis à la prononciation de 17 sujets, appartenant au milieu universitaire (la plupart habitaient Paris) ; leurs dates de naissance s’échelonnent de 1898 à 1949. Ils sont anonymes, mais une notice détaillée donne la biographie professionnelle de chacun, ses connaissances et sa pratique des langues, les traits caractéristiques de sa prononciation du français. Quand plusieurs prononciations d’un mot sont enregistrées, le lecteur peut voir si l’une vient plutôt des sujets âgés, ou ayant une même origine régionale, etc. 

 Le lecteur trouve ainsi une description analytique, puis synthétique, de la prononciation, vers 1960, d’un milieu parisien très cultivé.

Le T.L.F., dans une partie de ses articles, fournit quelques données d’observation des prononciations, mais sans précisions sur les témoins interrogés.

Grenelle : nom propre ou nom commun ?

Le mot Grenelle est-il soudain devenu un nom commun ? Va-t-il entrer dans nos dictionnaires ? Les médias français, en effet, célébrant « le Grenelle de l’environnement », utilisent ce toponyme comme nom commun, précédé souvent de déterminants <I> (ce, le, un...) </I>. Et l’actualité lui confère une signification symbolique : une réunion politique entre pouvoirs opposés, et qui se propose d’obtenir rapidement des accords décisifs. Mais (timidité ?), le mot ne circule qu’au singulier, et ne sort pas sans sa majuscule ; la presse n’écrit pas : « le grenelle… », et n’imagine pas encore « d’autres grenelles ». Car une tradition qui ressemble fort à une norme n’admet pas, dans nos dictionnaires de langue, d’entrées à majuscule. Avec ce signe de noblesse lexicale, le néologisme ne peut y trouver place que dans un exemple de l’article accord. Des noms propres qui, dans l’histoire ou la légende, ont acquis un sens symbolique, figurent dans les dictionnaires encyclopédiques avec leur majuscule, et dans les dictionnaires de langue avec une initiale « bas de casse ». 

C’est assez rare pour les noms de lieu : on peut citer l’Eden de la Bible, et « un éden » : « Par analogie, il se dit de Tout séjour agréable. Ce pays est un éden » (Dictionnaire de l’Académie française, 8e édition). La 9e édition, en cours, améliore et ajoute un exemple : « Lieu de séjour agréable et paisible. Vivre heureux dans un éden de verdure ». Et, rare privilège, l’usage littéraire a créé un adjectif : « édénique : relatif à l’Eden et, par anal., paradisiaque, enchanteur. Un séjour édénique. Une époque édénique » (9e éd.). Il y a bien un quartier de Paris, infiniment plus célèbre que Grenelle, mais évocateur de plaisirs moins bibliques : c’est Montmartre, représenté son adjectif montmartrois, qui vient d’entrer dans le dictionnaire académique, mais avec des exemples rassurants : Les artistes, les chansonniers montmartrois.

Le passage du nom propre au nom commun est très fréquent pour les personnages historiques, légendaires ou fictifs : la mythologie a fourni un hercule, et son adjectif herculéen. La littérature propose un don Juan, et le Grand Robert lui découvre un lot de dérivés : donjuanerie, don juanesque, donjuaniser, donjuanisme. Des personnages fictifs comme Polichinelle ou Guignol ont une seconde existence qui leur donne entrée au dictionnaire de langue. Les politiques et les philosophes, autant que dure leur célébrité, sont accompagnés de dérivés en –ien, -ique, -iste, -isme, évocateurs et souvent symboliques.

La clé : deux formes, un seul sens ?

Comment se fait il qu’il y a deux façons d’écrire le mot : clé ou clef ?

Les dictionnaires n’admettent pas facilement, dans l’entrée d’un article, d’aligner deux graphies séparées par un ou, ce qui laisse le lecteur dans l’incertitude : il attendait une norme, et on lui livre un double usage. 

Comment choisir ? Que faire de cet F final ?  

Nos premiers dictionnaires, au 17e siècle, sont catégoriques : l’F s’écrit, mais ne se prononce pas ; « même devant une voyelle », précisait l’Académie au siècle suivant, et pour clé elle ajouta (1835) : « …et plusieurs l'écrivent de cette façon » (donc sans  F).

Donc, depuis deux siècles, le mot a une seule prononciation, mais dans l’usage écrit deux formes ? Pourquoi ?

Quand la norme actuelle ne répond pas, il faut interroger l’histoire : questionnons le moyen français, l’ancien français… 

Des consonnes finales, prononcées en ancien français, mais devenues muettes en moyen français, sauf en liaison, nous n’en manquons pas : le C de banc, le D de pied, le P de champ, le T de  toit…  Mais l’F  en fin de mot ? bref, sportif, soif, neuf… ce n’est que précédé d’une consonne qu’il peut devenir muet (nerf).

Notre clef serait-elle la seule à garder dans l’écrit cet F, muet depuis des siècles ?

Il y a pourtant deux cas proches, mais au pluriel seulement. : les bœufs et les œufs.

Ce qui nous dicte une réponse.  Dans ces deux noms, très anciens (et très fréquents dans la civilisation rurale de l’ancien français), la consonne F, finale au singulier, devient muette devant l’S du pluriel ; donc dans la prononciation du moyen français et du français moderne : les bœufs, les œufs avec un F muet, conservé dans l’écriture par symétrie avec le singulier.

Et, hypothèse toute naturelle : le moyen français prononçait la clef, les clés ; le français moderne, celui dont les grammairiens du 17e siècle entreprennent la description, ne prononce l’S final (du pluriel des noms) qu’en liaison ; il est muet, mais on va le conserver dans la graphie, comme tous nos S du pluriel, les pieds, champs, bœufs, œuf… et les clefs.

À part un petit nombre de cas (les exceptions des mots en –al, -ail, … etc.), nos noms forment leurs pluriels par l’addition d’un –s, qui peut se prononcer en liaison.  Au début du français moderne, c’était bien plus compliqué : noms et adjectifs se terminant par –NT (enfant, charmant, accident, prudent…) s’écrivaient au pluriel sans leur T : des enfans prudens, etc.   

C’est la 6e édition du dictionnaire académique, qui en 1835 aligna ces milliers de pluriels sur leurs singuliers : on écrivit désormais : « des enfants prudents ». 

Ce que l’histoire des mots nous apprend, c’est donc que la forme clef est l'héritage d’un singulier de l’ancien français, où l’F final était encore prononcé, alors que la forme clé se justifie par le pluriel clés de l’a.fr.

Historiquement, le nom de ce petit outil a donc connu deux exceptions :

a) comme pour les bœufs et les œufs, l’F du pluriel, quoique devenu muet en moyen français., est conservé dans l’orthographe.

b)  contrairement au bœuf et à l’œuf, la clef s’écrit parfois clé, pluriel clés, ce que l’Académie constate en 1835 (« plusieurs l’écrivent de cette façon »), sans toutefois l’adopter. 

Dans sa 9e édition (en cours depuis 1990), l’entrée donne les deux formes : « CLEF (se prononce clé) ou CLÉ » avec la note suivante : « L'orthographe étymologique et ancienne, clef, et l’orthographe moderne, clé, s'emploient toutes deux selon des critères qui ne sont pas objectivement définissables ».

Dans le corps de l’article, tous les exemples ont les formes clef et clefs.    

Les dictionnaires récents donnent les deux orthographes comme équivalentes, mais adoptent la graphie clé dans tous les exemples (sauf citations).

Des mots qui ont changé de sens

On parle d’un fauteur de trouble(s), des fauteurs de guerre(s). Diriez-vous : « un fauteur de joie(s), des fauteurs de bonheur(s) » ?

Fauteur est emprunté au nom-adjectif latin fautor : « qui favorise, qui encourage… » ; c’est le même radical que celui de faveur, favoriser, etc. ; aucun rapport avec faute, fautif… ! À l’origine, il aurait pu s’appliquer aussi bien à une action louable qu’à une action fâcheuse, voire criminelle. Mais il a subi l’influence de faute, et ne s’est plus appliqué qu’à celui qui favorise ou encourage des actes fautifs, dangereux, néfastes… Sémantiquement, il a été senti comme appartenant aux dérivés de faute. On a parlé de « fausse étymologie », d’« étymologie populaire » ; les linguistes préfèrent : « attraction sémantique ».

On observe d’autres accidents semblables.  

forcené, qui fut d’abord forsené, n’a aucun rapport avec la force ; il signifie que le sujet perd la raison, le sens (en a.fr. sen), qu’il est hors (a.fr. for, fors) du bon sens. Mais l’attraction du mot voisin force a joué, sur la signification, et même sur l’orthographe : on ne dirait pas : « un doux forsené ».

Péage signifie : point de passage ; même radical que pied, pédestre », etc. ; mais il arrive que certains passages soient soumis à une taxe ; ce fut banal pour des ponts ; à l’entrée des villes, les octrois n’ont disparu que récemment, mais nos autoroutes conservent la tradition, et au péage, on sort sa monnaie ou sa carte de crédit ! Bien qu’étymologiquement notre mot n’ait aucun rapport avec payer, paie, payement… ce voisinage a joué son rôle d’attraction, et il serait surprenant de parler d’un « péage gratuit ». Essayez ?

Affabuler

Un glissement de sens différent : compendieusement signifie « en résumant, de façon brève ». Mais cet adverbe pompeux évoque plutôt le contraire. Un orateur qui annoncerait qu’il va traiter compendieusement son sujet serait compris à l’inverse.

Vous avez trouvé ici quelques exemples curieux d’attraction sémantique. En voici un autre exemple, notre verbe éconduire. « J’ai demandé à être reçu par le directeur, mais j’ai été éconduit ». Vous avez compris : j’ai été poliment refusé, et renvoyé à la sortie.

Il y avait en ancien et en moyen français un verbe escondire, formé de deux préfixes latins, ex- et con- et du verbe dire. Cela signifiait « donner une excuse, s’excuser, refuser ». – Attraction de conduire, et éconduire, est né, issu d’une erreur, et a pris le sens actuel : « refuser, rejeter une demande, renvoyer un solliciteur ».

Pallier, c’est cacher ce qu’on ne doit pas voir, jeter le manteau (pallium) sur ce qui ne doit pas être vu ; atténuer ». Un mal que la médecine ne peut guérir, elle tâche de le pallier. Par attraction de parer à qqch, on lit souvent un « pallier à qqch ». À éviter soigneusement !

FAUSSES ATTRACTIONS.

Des petits malins ont imaginé que « les remèdes de bonne femme » étaient à l’origine des remèdes « de bonne fame », c’est-à-dire de bonne réputation, et qu’il y aurait eu attraction du nom homophone femme. Erreur ! – Des esprits aussi ingénieux affirment que dans : « la fête bat son plein », le mot son n’est pas un adjectif possessif, mais un nom. Pure invention.

Quant à au temps (pour moi), devenu autant…, c’est une attraction qui a passé dans l’usage.

autan (n.masc)

(vent orageux du Midi)

autant (adv.)

 (en égale quantité)

* pourquoi travaille-t-il autant ?

* j'en aurais fait autant à ta place

* il a beaucoup de disques, je n'en ai pas autant ;

* autant en emporte le vent

* il fait des heures supplémentaires, ce qui augmente autant son gain

* il n'a pas encore gagné pour autant

autant pour moi

qu’est-ce qui est correct, pour dire qu'on s'est trompé ? « Autant pour moi » ou « au temps pour moi »?

– En escrime et en maniement d'armes, on enseigne des mouvements en plusieurs « temps ». Et quand un de ces "temps" a été mal exécuté, l'instructeur commande : « au temps ! », pour faire recommencer le mouvement.

– Et « au temps » est devenu courant pour annuler un acte et le recommencer.

Sorti du cadre des armes, l’expression garde ce sens, mais n'est plus analysée : on y voit l'adverbe homophone, « autant », et cette graphie s’est répandue. On peut considérer qu'aujourd'hui elle n'est plus fautive, et que les deux graphies sont acceptables.

Une histoire de télé

Quand les premiers membres de l’Académie créée par le Cardinal de Richelieu en furent à la lettre T, ils rencontrèrent le nom d’une invention récente (Galilée, 1609), une longue-vue des astronomes, dont le nom latin, telescopium, était traduit par tous les savants d’Europe ; et ce fut, en français, le telescope ; d’abord sans accent ; puis, dans les éditions suivantes du Dictionnaire, un accent aigu sur , mais rien  pour la syllabe suivante : –les– puisque sa voyelle n’est pas  «en fin de syllabe ».

Ce nom vécut dans l’isolement jusqu’à la fin du 18e siècle, où on enregistra soudain un afflux de jeunes voisins : télégraphe d’abord, puis téléphone, avec leurs nombreux dérivés ; Littré, en 1877, aligne déjà 20 néologismes, tous du domaine des futures télécommunications..., sauf un verbe télescoper : « se replier l’un dans l’autre, en parlant d’objets qui rentrent les uns dans les autres comme les différentes parties d'une lunette, d'un télescope » – Verbe que, depuis Littré, le vocabulaire de l'automobile a enrichi d’acceptions nouvelles.

Mais cette fois, les deux premières syllabes des nouveaux venus sont accentuées : télégraphe, téléphone, télémètre, etc. – ce qui permet au 20e siècle non seulement d’inventer la télévision, mais de détacher ces deux premières syllabes pour nommer un objet de notre temps, la télé, n.fém. (on disait aussi, naguère : télévision). Et ces deux syllabes ont juste le bon poids pour devenir un des formants les plus productifs, télé–.

Aujourd’hui, un dictionnaire courant aligne entre 120 et 160 entrées en télé-, de téléachat à télévisuel, et d’une édition à la suivante, de nouveaux néologismes se présentent pour obtenir une entrée.

Mais notre bon vieux télescope et sa petite famille lexicale persistent à se faire prononcer té – les cop(e), sans accent sur la seconde syllabe. Que se passe-t-il alors quand le formant télé- doit se souder à un mot commençant par s + consonne ? Va-t-on couper té – tes –crip – teur ? ou les pec ta teur… puisque la seconde syllabe, avec son è ouvert, ne mérite pas d’accent ?

Ouvrez votre dictionnaire, s’il est récent et s’il s’est converti à l’emploi de l’alphabet phonétique. Et vous saurez que les téléspectateurs et téléspectatrices que vous êtes sans doute n’ont pas été maltraités par des grammairiens malveillants.

On parle beaucoup des nombreux emprunts que le français d’hier et d’aujourd’hui fait à l’anglo-américain. En connaît-on un qui, sur notre terrain, ait provigné (le mot est de Ronsard) autant que ces deux syllabes, venues du grec, en passant par le latin ?