Histoire des mots

Une locution d’autrefois

Dialogues

Curiosité : une expression ancienne : « se faire jour ».

Est-ce qu’on dit bien : « l’idée s'est fait jour » ? (et non « faite » ?

– Oui ! Et pourquoi ?

– Parce que, dans cette expression, le pronom réfléchi SE est complément d’objet indirect (COI), et non direct (COD).

– Encore faut-il comprendre cette expression, peu courante, et qui a vieilli.

Commentaire historique : Encore faut-il comprendre cette expression, peu courante, et qui a vieilli. Elle eut jadis un sens guerrier (se frayer un chemin parmi une troupe ennemie), avec des emplois métaphoriques dans le style galant. En français moderne, il n’en reste qu’un emploi très figuré, assez rare, et très éloigné de son origine imagée. Dans le bref exemple cité, il suggère que l’ « idée » en question, d’abord obscure et incomprise, est arrivée en pleine clarté.

Les premières éditions du Dictionnaire de l’Académie notaient : « Se faire jour, Se faire ouverture et passer, se frayer un chemin. Il a eu beaucoup de mal à se faire jour à travers la foule. Fig., Tôt ou tard la vérité se fait jour. » Mais les plus récentes s’éloignent du sens originel : « Se faire jour… se frayer un chemin. Fig. : Se manifester. Tôt ou tard, la vérité se fait jour ». Peu d’écrivains l’emploient, peu de lecteurs en perçoivent l’image originelle, et les meilleurs dictionnaires s’y perdent.

Voici les contextes qui prouvent qu’à l'origine de l’expression « se faire jour », le pronom réfléchi est bien un « objet indirect » :

Se faire jour, se dit d’un homme ou d’une troupe qui perce un gros d’ennemis. « Et malgré vos refus il faudra que leurs coups Se fassent jour ici pour aller jusqu'à vous », CORNEILLE. Hor. II, 6. – « Cette troupe, rassemblée et ranimée par le malheur de son prince, se fit jour à travers plus de dix régiments moscovites », VOLTAIRE Charles XII, 4. – Dans le même sens : se faire jour, se frayer son chemin. Au travers des périls un grand cœur se fait jour, RACINE Andr. III, 1. Quelle horrible peine a un homme... qui n’a que beaucoup de mérite pour toute recommandation, de se faire jour à travers l’obscurité où il se trouve ! LA BRUYÈRE.

Merci ! Tant de grands hommes pour me convaincre... Je me tais et j'admire…

Un débat : supprimer les « lettres grecques »

Quand les Romains se mirent à lire les œuvres d’Homère, de Platon ou de Sophocle, ils découvrirent quelques lettres qui ne faisaient pas partie de leur alphabet. Ainsi les trois consonnes « aspirées » : le théta, qu’ils transcrivirent par le groupe th : theoria, theatrum – le phi, qu’ils transcrivirent par ph : philosophia, phaenomenum – le khi, transcrit par ch : chirurgia, chorus. Les érudits du moyen-âge et de la Renaissance ont emprunté de nombreux mots grecs sous leur forme latine, et les ont introduits dans les diverses langues de l’Europe. L’italien, l’espagnol, le portugais et le roumain ont transcrit les consonnes aspirées en supprimant l’aspiration : italien teatro, filosofia, cirurgia (mais : choro).

Supprimer les « lettres grecques » ? Comme les deux H d’hypothèse, qui ne sont qu’étymologiques ? Remplacer son Y par un I ? imiter l’italien, qui écrit ipotese ? On adopterait donc ipotèse, téorie, atlète….

Du reste, les « lettres latines » ne mériteraient-elles pas le même sort ? Pourquoi devons-nous écrire hôte, habile, honneur (deux N ?)… ? Pourquoi quatre, cinquante… et non catre, sincante… ? Pourquoi genou, gémir, digestion plutôt que jenou, jémire, dijestion ? Pourquoi conserver qui, que, quoi, quel, quelque… ? Par crainte du K ? –

Changement de sens

ÉCURIE

Les écus, pour le chevalier, étaient des boucliers, lourds et encombrants instruments de protection dans le combat. Pendant un voyage, ils étaient confiés aux écuyers. Au repos, sans doute avec d’autres accessoires, rangés dans une écurie (en ancien français : esquierie), lieu destiné à loger les chevaux, le matériel ainsi que les personnes employées (écuyers, pages). En français moderne, il n’y a plus ni écus, ni écuyers. Depuis longtemps (moyen français), l’écurie n’abrite plus que des chevaux, puis, plus récemment, nos précieux ruminants.

GRÈVE

En ancien français, grève désigne une étendue sablonneuse sur la rive d’un fleuve ou de la mer. À Paris, sur la rive droite, un tel espace, avant la construction de quais, était nommé « la grève », et le mot devint nom propre : la Grève – espace non bâti, où avaient lieu les exécutions, mais qui fut aussi un marché du travail. Pour un ouvrier parisien, être « en Grève » signifia « chercher du travail ». La cessation collective du travail, lors de conflits sociaux, crée le sens nouveau, qui se détache de sa motivation descriptive pour entrer, comme nom commun, dans le vocabulaire des conflits socio-politiques.

Les dictionnaires, du 17e au début du 20e siècle, traitent ces emplois successifs comme variantes d’un même mot (y compris le nom propre de la toponymie parisienne) ; ce n’est qu’au 20e siècle que des dictionnaires font deux entrées, distinction confirmée en 2000 par l’Académie (9e édition du Dictionnaire).

C’est donc un cas – assez exceptionnel – où un sens nouveau se détache du sens premier, au point d’engendrer des dérivés (gréviste…) indépendants de cette origine.

FRÉQUENCES

Parler du mot fréquence commence par un curieux paradoxe : ce fut longtemps, avec son compagnon, l’adjectif fréquent, un des moins… « fréquents » dans le langage de nos aïeux. Au point que nos premiers dictionnaires, ceux de l’Académie (1694 et 1718), ainsi que les deux clandestins, Furetière et Richelet, ignorèrent tranquillement le nom fréquence ; en 1740, l’Académie lui fit place, mais le définit lourdement : « réiteration, qui se fait souvent » ; mais au siècle suivant, le dictionnaire de Trévoux constatait son peu de succès dans l’usage courant. Le seul langage technique qu’on lui connût fut celui des médecins ; ce que mentionne encore Littré : « Terme de médecine. La fréquence du pouls, la succession rapide de ses battements ».

Jusqu’au 20e siècle, fréquent était un antonyme savant du banal rare. Quant à l’adverbe fréquemment, il est toujours concurrencé par le banal adverbe souvent. Ce sont les linguistes qui, en parlant de la fréquence des mots, ont rendu familier l’adjectif (de fréquents orages) et même le nom ; emplois modernes que néglige l’Académie (9e édition du Dictionnaire), mais qu’enregistre prudemment le TLF : « P. ext., LING. Nombre de fois qu'une unité lexicale apparaît dans un corpus déterminé. »

UN MOT ? OU DEUX MOTS ?

Un « compte » ? ou un « conte » Les comptes du fournisseur, ou les contes de La Fontaine ?

Si vous avez un doute, votre dictionnaire arbitrera : ce sont deux noms masculins, homonymes, plus exactement homophones, mais non homographes. Quand vous prononcez ou entendez l’un d’eux, le contexte ou la situation dictent le choix. Ce sont deux mots distincts, donc ils ont deux « entrées » dans nos dictionnaires.

Historiquement, c’est plus compliqué. Ces deux mots sont deux orthographes qui ont la même origine latine, qui sont deux interprétations graphiques d’un même mot : l’une qui ne tient compte que de la prononciation, l’autre qui tient compte de l’étymologie ; en moyen français, où l’orthographe était encore assez flottante, ce sont deux graphies d’un même nom, lequel pouvait exprimer aussi bien l’œuvre du conteur que celle du comptable : banale polysémie... Mais ce mot, dans l’usage, s’est dédoublé, au point que dès le 17e siècle, nos premiers dictionnaires en ont fait deux unités du vocabulaire.

DEUX MOTS ? OU UN MOT ?

L’ancien français avait un verbe esmer, issu du latin aestimare, employé au sens de « estimer, apprécier » ; c’était un doublet de notre verbe « estimer ».

Quand en moyen français la consonne S, devant une autre consonne (feste, mesme…), devient muette (fête, même), une forme comme j’esme devient homophone de j’aime. Et quand on dit : « j’aime mieux la brioche que le pain », c’est peut-être un héritage d’un lointain « j’esme mieux... ».

On peut supposer que la vieux esmer n’a pas disparu, mais a conflué avec aimer, comme une rivière qui se jette dans un fleuve ; et que de ces deux mots résulte, dans notre usage actuel, une seule unité du lexique, le triomphal aimer, qui contient un peu du vieux « esmer ». Deux mots qui seraient devenus une seule unité du vocabulaire.

TRAITS D’UNION

Pourquoi écrit-on « chemin de fer » sans traits d’union ?

C’est une bonne question, et comme personne n’y pensait, Orthonet se l’est posée.

Pendant tout le 19e siècle, les dictionnaires traitent cette expression comme un des emplois du nom « chemin », comme « chemin de terre », et l’écrivent ainsi dans l’article CHEMIN.

Il fallut, en 1950, la tranquille audace d’un inconnu, Paul Robert, pour extraire le chemin de fer du fouillis des chemins, et pour en faire un vrai mot ; et il poussa l’insolence jusqu’à l’afficher sans traits d’union. Il fut vite suivi par tous les professionnels du lexique, et, en 1990, par l’Académie elle-même.

Une autre invention a connu la même promotion lexicale : la POMME DE TERRE, devenue elle aussi, grâce à Paul Robert, un vrai « mot » sans traits d’union).

Dans le tome 3 du Dictionnaire de l’Académie, paru en février 2012, figure le nouvel article pomme de terre ; entrée et exemples en trois mots ; nombreux exemples, une vingtaine de lignes.

Dialogues où l’histoire des mots aide à comprendre le français d'aujourd’hui

Quand l’usage était d’écrire cognoistre, Pierre Corneille se permettait, en 1637, d’écrire cognestre, pour rimer avec maistre ; plus tard, il siégea à l’Académie, de 1647 à sa mort en 1684, mais n’empêcha point la Compagnie de n’admettre que connoître ; car celle-ci n’adopta notre connaître qu’en 1835.

La norme de l’écrit peut résister longtemps à l’usage de l’oral, et ne lui obéir qu’avec retard).

1ere phrase à vérifier : Nous tenions à vous remercier d’avoir partagé ce moment et d’avoir rendu cette journée possible. Est-ce que nous devons mettre un « s » à la fin du mot « partagé » et du mot « rendu » ? Le pronom « vous » correspondant à plusieurs personnes. + Autre phrase où j'ai un doute sur l'accord : Nous sommes très fiers que tu aies été témoin de notre union. -> Devons- nous utiliser du subjonctif et l'orthographe est-elle correcte ? Par avance, Merci de votre réponse.

Hélas ! Vous oubliez qu’un participe, comme un adjectif, qualifie un nom ou un pronom de la phrase (celui ou celle ou ce qui est « rendu » et « partagé »). LE SENS !

Pourriez-vous m'expliquer pourquoi on fait la liaison lorsque l’on dit « des yeux » et pourquoi on ne la fait pas lorsque l'on dit « des yoles » ?

« yeux » est une des rares formes commençant par la semi-consonne Y (jod) suivie de voyelle. Mot ancien, où la liaison a toujours été faite.

Elle ne se fait pas dans les mots récents, empruntés par le français moderne (19e ou 20e siècle) à d'autres langues (yaourt, yoga, yacht, yatagan, yoga... etc.). Dans leur transcription phonétique, ils sont précédés d’une sorte d’apostrophe, qui exclut la liaison, comme pour les mots à H aspiré ; ce signe fait partie de l'A.P.I.

je voudrais savoir s’il existe une règle pour l’usage ou non des doubles consonnes

Orthonet ne cesse de le répéter (pour ceux qui qui veulent s'instruire et qui lisent nos INFORMATIONS), l'ORTHOGRAPHE LEXICALE N'OBEIT A AUCUNE REGLE.

Les consonnes doubles ont des origines diverses. Certaines opposent une consonne sourde < (casse – gaffe) à la sonore correspondante (case - gave). Dans de nombreuses graphies antérieures à 1600 (chouette, discrette, violette…), elles ont le même rôle qu'un accent grave sur l’E (discrète, comète – graphies de 1740)). Dans d'autres mots (accepter, vaccin), elles remplacent un X, mais sont étymologiques, comme beaucoup d’autres (collège, corrompre...). Souvent (illégal, irruption...), fusion d’un préfixe « in- avec la consonne suivante ; etc. Résultats de la dénasalisation (bonne, femme...). etc. Souvent, fusion d’un préfixe (in-, con…) avec la consonne initiale du radical qui suit (collège, corrompre... illégal, irruption...). Résultats de la dénasalisation (bonne, femme...). etc.

Bonjour, comment se fait-il que bayer aux corneilles, et bäiller ne s'écrivent pas de la même façon, venant tous les deux de batare ?... pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué...

Les trois verbes « bailler, bayer, béer » appartiennent à l'ancien français, et même au très ancien frs, à un vocabulaire antérieur aux premiers textes. Quand nous pouvons les observer (12e siècle), ils sont déjà sentis comme différents (c’est plus tard que la science constatera qu'ils peuvent – peut-être – avoir comme origine un même verbe du latin vulgaire). Ils ont des contextes et des sens distincts, peut-être des prononciations différentes... Quand l'orthographe commence à se fixer (moyen français, 15e ou 16e siècle), ce sont des verbes indépendants, tout au plus des homonymes.

Ceux qui écrivent et ceux qui impriment, à l'époque, ne sont pas chargés de « faire simple » ou de « faire compliqué », mais de se faire comprendre. Lors des premiers dictionnaires (17e siècle), les premiers « orthographeurs » sont déjà devant une tradition lexicale, celle des imprimeurs - et ils ne sont pas chargés de la bousculer.

L’orthographe lexicale est un résultat de l’histoire. Elle n’a pas été fixée en une seule fois par une commission d'étymologistes, mais souvent retouchée, améliorée, ordonnée.

Chaque mot a son origine et l’époque de son orthographe. Quant à la recherche de « trucs », au lieu de « règles », elle ne conduit qu’à des erreurs.

« J’ai deux grand-mères : Mamie-Berthe et Mamie-Jeanne ; attention à l’ortografe ! ».

En ancien français, quelques adjectifs (très fréquents) avaient des adjectifs dont le féminin, contrairement à l’usage général, avait une terminaison en –e, comme grand, fort….

Il nous en reste quelques toponymes actuels comme Grandville, Rochefort, et des locutions comme pas grand-chose, à grand-peine, ou des noms composés comme grand-mère, grand-rue, grand-croix, etc. L’Académie a adopté (1694) des graphies avec apostrophe : grand’mere, grand’peine…, ce qui laissait entendre qu’il s’agit d’une élision (erreur historique contre laquelle Littré avait protesté en vain) ; rectification en 1932 : l’apostrophe est remplacée par un trait d’union : grand-mère, belle-mère, etc.

Mais l’édition en cours a ajouté de surprenants pluriels : grand-mères, grand-messes, grand-tantes, grand-voiles, etc. que tente de justifier une regrettable Remarque : « Dans ces noms féminins composés, grand, ne s’accordant pas en genre, ne s’accorde pas non plus en nombre. ».

Erreur, évidemment ! Ici, grand est un féminin archaïque ; il est « accordé ».

Les autres dictionnaires (et Orthonet) préfèrent « accorder » ces pluriels : « mes deux grands-mères », etc. – (il est des situations où le respect cède devant l'évidence : « ...sed magis amica veritas ! »)

« J’aime mieux ma mie, oh gué ! j’aime mieux ma mie » Molière, Le Misanthrope I, 2.

que veut dire « ma mie » lorsque l’on parle d’une femme ?

C’est une graphie ancienne, admise... mais erronée : « ma mie » devrait s’écrire : « m’amie »

En français moderne, les possessifs « ma, ta, sa », devant un mot commençant par une voyelle, sont remplacés par les masculins correspondants : « mon amie, ton ancienne voisine, son autre sœur », etc.

En ancien français, dans ce cas, les formes féminines « ma, ta, sa » s'élidaient, comme l’article et le pronom féminin « la » : « m’amie, t’amie, s’amie », etc.

C’est en moyen français que dans l’usage ces formes élidées des possessifs ont été remplacées par les masculins correspondants. La forme élidée a résisté un temps dans la locution « m’amie », écrite par erreur : « ma mie » : mais on n'a jamais dit : « *une mie, *votre mie, une *bonne mie ». Et les grammairiens n’ont pu que ratifier et généraliser.

Le fleuve et la rivière... Mais pourquoi la Seine et le Rhône ? Pourquoi le Lot et la Marne ? La couleur. Féminin. Pourquoi donc le rouge, le jaune, le vert ? Une lettre. Féminin. Pourquoi dit-on un « b », un « c », « d » ?

Pourriez-vous m’expliquer toutes ces contradictions ?

Ce sont de bonnes questions, de saines inquiétudes ! Pour ces toponymes, notons : ils sont (sauf la Loire...) de fidèles héritiers du latin ; que ce sont les Romains déjà qui ont personnifié ces eaux, comme des divinités (probablement bienfaisantes) masculines (fleuves ?) ou féminines (rivières ?). - Les couleurs : ce sont des adjectifs employés comme noms, donc au « genre non marqué ». - Les lettres : l’usage et l’Académie ont hésité. En 1694, pour la lettre R : « S(ubst.) f(éminin). On prononce erre. Lettre consonne, & la dix-septième de l'Alphabet françois. Une grande R. une R. majuscule. une petite r. une double rr. deux rr ». – Mais en 1762, elle se ravise : « S. f. …Une grande R. une R. majuscule. une petite r. une double rr. deux rr. Substantif féminin, suivant l’ancienne appellation, qui prononçoit Erre ; ou masculin, suivant l'appellation moderne, qui prononce Re, comme dans la dernière syllabe du mot Battre ».

Le lexique, répète sans relâche Orthonet, « n’obéit à aucune règle » ; le genre des noms, quand ils ne nomment pas des êtres sexués, obéit à des images de sociétés si lointaines que toute hypothèse serait téméraire. Nous sommes des héritiers sourds et aveugles, mais dociles.

Pourquoi l’adjectif public se termine en ic au masculin et en ique au féminin mais l’adjectif artistique par contre se termine en ique aux 2 genres ?

L’orthographe lexicale n’obéit à aucune REGLE. C’est, pour chaque mot, un héritage dû à l’histoire.

« public » est un mot du 13e siècle, calqué sur un mot latin, comme d’autres noms ou adj. en –ic ; « artistique » est né au début du 19e siècle ; c’est un dérivé (en français et dans d'autres langues) du nom « art ». – même terminaison dans de nombreux adj. en -ique.

Certaines réformes (surtout 1740 et 1835) ont supprimé quelques incohérences de l’orthographe lexicale. Mais une unification de séries comme celle qui oppose -ic et -ique serait un bouleversement du lexique, qu'aucun réformateur n'a proposé, et que l'opinion n'accepterait pas.

je n’arrive pas à saisir pourquoi on peut employer le mot « ne » sans ajouter un adverbe de négation avec ce mot, par exemple je ne sais où aller je ne sais quoi vous dire, dans mon esprit, employer le mot « ne » sans ajouter un adverbe de négation, est une faute grammaticale. si ce n'est pas le cas, vous voulez bien m'expliquer pourquoi. merci

Non, ce n’est pas une « faute grammaticale », mais plutôt une élégance, ou un archaïsme.

Le seul adverbe de négation, c’est « ne », hérité du latin « non ». Mais dès l’ancien français, sa faiblesse phonétique nuit à son usage (« on n’avance » se prononce comme « on avance », qui est son contraire). D’où, dès l’ancien et le moyen français, l’habitude de le renforcer par un nom (« ne...pas, ne...point », exprimant la quasi-nullité) : « on n’avance PAS » (d’un seul pas) – « Je n’écris POINT » – « Il ne mange MIE », etc. Les noms « pas, point, mie, rien », etc. sont ainsi devenus des particules de négation. – Mais, avec certains verbes (je ne sais…, on ne peut…, il ne veut comprendre…), l’omission de ce mot complémentaire, si le sens le permet, est une survivance, et non une faute.

je m’en vais Quelle est, s’il vous plait la nature grammaticale de EN dans cette phrase ? Merci

Bonne question – malgré sa brièveté.

À l'origine, cet « en » est un pronom conjoint. Dans des énoncés comme : « j'en suis parti », il représente un nom qui vient d'être prononcé, un « antécédent ». Au contraire, dans « je m’en vais, tu t’en iras », il n'a pas d’antécédent ; il est intégré à une locution verbale « s’en aller », qui signifie « quitter le lieu où l’on se trouve (ou : « ... se trouvait ».).

Le mot « en » n'y a plus réellement un rôle de pronom, et certaines grammaires le traitent comme adverbe.

C'est un fait de lexique, et non de syntaxe, que tout dictionnaire doit mentionner (généralement dans l’article ALLER).

À noter que dans les temps composés, on observe deux usages : « je m'en suis allé, ils s'en sont allés » (classique) – « je me suis en allé, ils se sont en allés » (familier, mais admis).

Je voudrais savoir pourquoi on écrit « ambigüité » (avec tréma) mais on écrit « linguistique » sans tréma, alors que l'on prononce le « u » (ne devrait-on pas prononcer, dans ce cas, /lêgistik/ ? ("ê" pour transcrire phonétiquement ici la nasale). Merci d'avance.

Bonne question !

Le lettre ! U a des rôles divers (comme la plupart des lettres de notre alphabet).

a) Dans Guérir, elle est muette, mais oblige à lire le G comme occlusive (comme dans Gare), et non comme spirante (comme sans Gérer) - b) Dans lingUiste, lingUistique, aigUille, etc., elle est semi-consonne (non syllabique).

c) Dans des groupes comme beaU, boUle, beUrre, etc., elle perd son timbre pour entrer dans un groupe vocalique conventionnel.

d) Dans « ambigUïté, contigUÎté, argUer, aigUë », elle était voyelle et constituait une syllabe – L’orthographe traditionnelle le marque (maladroitement) par un tréma non sur l’U, mais sur l’I ou sur l'E (ce qui est absurde).

NOTE : Les mots en « -guité » ont été dotés en 1798 de ce tréma, qui confirmait le caractère syllabique du U. Dans la langue classique, un mot comme ambiguité avait donc 5 syllabes ; mais on ne lui en reconnaît plus que 4 : l’U voyelle est devenu une semi-consonne – et les dictionnaires (déjà Littré) le confirment... mais conservent le tréma.

La prononciation de arguer en 2 syllabes (comme narguer) est une faute grave ; son U est voyelle, comme dans argument.

Comment expliquer la terminaison de l’impératif au singulier vu qu'on s’adresse à une personne pourquoi n’applique-t-on pas la terminaison de la deuxième personne du singulier ! Alors que si on s’adresse à plusieurs personnes on utilise les terminaisons de la deuxième personne du pluriel ! Ex : Mangez ce gâteau ! Mange ce gâteau (pourquoi pas manges avec un « s » puisque c’est un ordre donné comme « tu manges » ? Je suis professeur des écoles et lorsque je ne comprends pas une règle je n’arrive pas à l'appliquer !

Bonne question, mais mal formulée. Rectifions : pourquoi, dans les verbes en -er (1er groupe), le singulier de l’impératif diffère-t-il de celui de l’indicatif, alors qu’au pluriel les formes sont identiques (chante/tu chantes – chantez/vous chantez) ?

Nos conjugaisons ne sont pas des constructions logiques, mais des héritages de l’histoire. En ancien frs, la 2e pers. sing. de l’impér. hésitait entre chante (héritage du latin canta) et chantes (analogique de l'indicatif, qui a hérité de l’S final de cantas). En moyen français, l’s final étant devenu muet, les deux formes se prononcent de même (sauf en liaison) ; mais dans l’écrit, auteurs et grammairiens, par respect pour l’étymologie latine, préfèrent, pour l’impératif : chante, qui est devenue la forme de nos grammaires. La forme en -s n'est conservée que dans chantes-en, chantes-y, exigée par la prononciation. Cette histoire concerne également va, vas-y, et des verbes du 3e groupe comme offrir, ouvrir, etc.

Nos conjugaisons font partie de l’orthographe lexicale qui n’obéit pas à des « règles » et où l’action (tardive) des grammairiens n’a pu contredire l’usage oral, ni imposer des formes refusées par la langue parlée.

Etymologie-fiction

Quand on a emprunté au latin l’adjectif inexorable, il aurait fallu adopter aussi un verbe exorer (obtenir par la prière). De même pour inéluctable, qui aurait bien besoin d’un verbe élucter (éliminer par la lutte). Des vides dans nos... « étymologies ».

La Fontaine et l’orthographe

Dans quelques Nouvelles Fables, publiées par le fabuliste peu avant son décès, on lisait les vers suivants :

Autrefois un logis plein de Chiens & de Chats,

Par cent Arrêts rendus en forme solemnelle

Vit terminer tous leurs débats.

Le Maître aïant reglé leurs emplois, leurs Repas,

Et menacé du foüet quiconque auroit querelle,

Ces animaux vivoient entr’eux comme cousins...

Que pensez-vous de l’orthographe de ces vers ?

Argots ? Mots vulgaires

Beaucoup d’expressions péjoratives peuvent être employées sans connotation défavorable, par familiarité : « Elle est super, ta bagnole

L’étymologie nous révèle l’origine caricaturale de deux de nos noms, purs de tout élément péjoratif, et qui opposent l’homme à l’animal : la tête, siège de la pensée, et la bouche, organe de la parole.

En latin, la tête se disait caput. Le mot a passé dans les langues romanes. En français, il devient chief, puis chef, qui d’abord conserve ce sens anatomique (nous l’avons encore dans couvre-chef), puis s’étend dès l’ancien et le moyen français à des sens figurés, dont le plus important s’applique au personnage qui décide et qui commande.

L’italien a capo, et un dérivé capitano, dont notre vocabulaire militaire (souvent emprunté à l’italien) a fait capîtaine.

Mais le sens anatomique a été très tôt traduit par teste, tête. C’est que le latin vulgaire avait adopté un concurrent à caput : un féminin testa, qu’on traduirait à peu près par « cruche » ; autant dire : une vision caricaturale du crâne humain. Et c’est ce mot qui, dans nos langues modernes, dépouillé de toute intention ironique ou péjorative, est le successeur sémantique de caput, pour nommer la partie du corps humain où nous situons les fonctions les plus nobles de l’homme.

En latin, la bouche, c’était os, oris, nom neutre, au pluriel ora. – Partie du visage humain, organe de la parole ; un verbe dérivé, orare, c’est l’activité noble de la bouche : « parler », et surtout « demander, prier ». Le latin chrétien conserve ce verbe, et le français en tire oratoire, oraison, etc.

Mais le latin a un autre nom, bucca ; la joue, mais aussi la bouche qui mange, comme la gueule de l’animal. Image réaliste, vulgaire.

Et c’est ce mot qui, débarrassé de son réalisme, a suppléé le monosyllabe os dans l’usage populaire, et qui a passé dans les langues romanes ; d’où notre bouche, parfaitement libérée de son origine péjorative.

Dialogue : rencontre d’un étourdi

Pour quoi on écrit « ton explication » et non « ta explication » ?

Non seulement on l’écrit, mais on le dit ! « ma, ta, sa » devant un nom féminin commençant par voyelle ou h muet sont remplacés par « mon, ton, son ».

Vous dites : « mon adresse - ton idée - son amie », etc. Et vous ne le saviez pas ?

Pourquoi « aujourd’hui » s'écrit avec un « d’ » ?

Amusant !

Pour nous rappeler que hui, jadis, était un mot, un adverbe, le mot le plus quotidien de notre langue ; il signifiait tout le temps qui est en train de s’écouler depuis hier et jusqu’à demain.

Et puis, avec ses trois syllabes, notre aujourd’hui ne serait-il pas, pour qui le scrute, le mot le plus synthétique de la langue française ?

Comptons bien ! au, ce sont deux mots : la préposition à, et l’article le ;

Très tôt, on les a soudés ; en ancien français, on aurait écrit : « al jorn » ; ce sont trois mots.

Et « d’hui » ? La préposition, de, et un hui qui est la forme française du latin

hodie, ce (hoc) jour (die).

Donc d’hui, c’est un condensé de trois mots.

Les trois syllabes d’aujourd’hui, c’est un condensé de six mots. Qui dit mieux ?

Inexplicable

L’histoire orthographique des dérivés du nom règlement est inexplicable, et peut dérouter un débutant. Le mot de base entre dans notre norme graphique (Acad. 1694) sans accent ; ensuite (1740), il est doté d’un accent grave, conforme à sa prononciation et à la règle graphique adoptée (syllabe suivante en e atone). C’est l’édition de 1798 (éditée pendant la suppression de l’Académie) qui introduit le premier dérivé, réglementaire, avec deux accents aigus – inexplicables ; l’édition de 1845 supprime le second, mais conserve l’aigu sur la première syllabe. La série des dérivés se complète, jusqu’à l’adverbe réglementairement (1935), fidèle à l’aigu, qui contraste avec l’accent grave du substantif de base.

Le mot de base était entré dans notre norme graphique (Acad. 1694) sans accent ; ensuite (1740), il est doté d’un accent grave, conforme à sa prononciation et à la règle graphique adoptée (syllabe suivante en e atone).

On attend (et certains dict. attendent...) que l'Académie atteigne la lettre R pour régulariser l'accentuation de ces dérivés rebelles.

Les deux consonnes maudites

Au début de notre ère, la langue écrite des Romains, le latin, usait d’un alphabet d’une remarquable qualité. Une vingtaine de lettres suffisaient à transcrire l’oral ; chaque lettre se prononçait (presque) toujours de même, et chaque son (phonème) avait sa lettre propre. Mais, pendant l’époque impériale, cette belle régularité fut altérée par deux consonnes, qui, dans la prononciation populaire perdirent leur unité : le C et le G. C’étaient ce que la phonétique nomme des « occlusives », comme T, D, P et B… Elles le restèrent dans les mots où elles étaient suivies d’une autre consonne, ou d’une voyelle A, O ou U ; mais, suivies de E ou I, leur articulation se déplaça, et elles subirent une altération qu’on nommait naguère une « mouillure », et que la phonétique moderne qualifie de « palatalisation ». Des mots comme causa, corpus, cura, clave, credo gardèrent leur prononciation, mais dans certus, ciuitas, etc., la consonne initiale s’altéra ; même mutation pour le G : dans gallus, Gothi, gustus, gratia il se maintint, mais dans genus, gigantes, il se palatalisa.

Cette rupture va se répercuter dans toutes les langues issues du latin, à commencer par l’italien : l’occlusive y subsiste dans cosa, corpo, croce, gallo, governo, gusto, grazia, mais non dans cento, città, ni dans gente, giro, prononcés dj-

Mêmes constatations en français ; occlusive dans cause, corps, cure, clameur ; Gaule, goût, guide, mais un C qui se prononce comme un S dans certain, cité, et un G proche du J dans géant, gite.

Et même l’anglais, qui n’est pas une langue romane, mais dont une bonne partie du vocabulaire est d’origine latine, hérite de cette double nature des deux consonnes traitres : cause, cure, claim, mais cent, city ; gay, guest, girl, mais gentle, giant, etc.

Conjugaisons

Cette duplicité de deux consonnes a créé quelques difficultés aux auteurs de notre orthographe lexicale : scribes de l’ancien français, imprimeurs du moyen français, grammairiens du français moderne ont dû s’en accommoder… par exemple, dans les formes verbales que nos grammaires groupent en conjugaisons.

Dans les verbes dits du premier groupe, de plus en plus majoritaires, quelques-uns ont un radical se terminant par une de nos consonnes ambivalentes : perc-er, chang-er Quand la désinence commence par E ou I, le radical garde la même forme orale qu’à l’infinitif : percent, percera, percions, etc. ; mais les finales en –ant, -ait, -ons, etc., soudées au radical, pourraient inspirer au lecteur des lectures erronées. Les imprimeurs français empruntèrent alors à leurs confrères d’Espagne un accessoire typographique, la « cédille »; et on imprima perçant, perçons, perça, etc.

Notre cédille

Ce n’est pas une lettre supplémentaire. Ce n’est qu’une discrète variante du C, dont les dictionnaires ne tiennent aucun compte dans leur classement alphabétique. Mais son rôle phonétique est décisif.

Unité de conjugaison

Avec le g et sa queue, impossible de placer une cédille. L’artifice fut plus laborieux : on intercala un E parfaitement muet entre le radical et les désinences en A et O : changea, changeant, changeons, etc.

Dans ces verbes, l’unité graphique du radical est ainsi presque préservée, mieux que si l’on avait décidé de soumettre la graphie à la prononciation. On n’écrivit pas il persa ou on chanja, mais il perça, on changea.

Dans les verbes comme naviguer, après des hésitations, on a intercalé une voyelle U, parfaitement muette, mais utile pour les désinences en -e (ils distingUent) ou -i nous navigUions. Et, pour préserver l’unité de la conjugaison, cet U est étendu à toutes ses formes : d’où la différence entre les formes verbales navigUant, fatiguant et des formes lexicales comme navigant, fatigant, etc.

Des concurrents

La lettre C, outre son double rôle (cadre, cèdre) a une autre particularité : surtout à l’initiale des mots, elle a un redoutable concurrent : le digramme QU : nous écrivons, pour une même prononciation : carré, cadran, mais quadriller, quadrant. Et, à l’intérieur des mots, parcours, mais parquet, parquons. Sans parler d’un autre parasite, le K, conservé dans quelques mots familiers, mais d'origine savante, comme kilo(gramme) ou kiné(sithérapeute).

Si l’on revient au contact entre radical et désinence dans les formes verbales, on notera qu’un verbe comme marquer, tout au long de sa conjugaison, est fidèle au QU : marquait, marquons, marquera, marquions. Nos orthographeurs n’ont pas été tentés, devant des désinences commençant par A ou O, d’y recourir au C. Quand ils ont pu respecter dans toute la conjugaison le radical de l’infinitif, ils l’ont conservé, ou se sont bornés à un signal discret, la petite cédille.

Dernier avatar : en finale de mot, le C doit faire de la place à son concurrent : le féminin de caduc, grec, laïc exige le QU.

Le triomphe de ce digramme, c’est la zone des « mots grammaticaux » (pronoms, conjonctions, etc.) : que, qui, quand, quoique…. Héritage du latin ! Les Italiens, moins férus d’étymologie, mais attentifs à la prononciation, ont abandonné les graphies de leurs ancêtres : ils écrivent tranquillement che, chi, etc.

Les rapports entre lettres et phonèmes sont fertiles en surprises, impasses, et énigmes.

Familles ?

Attention ! Dans les environs d’un verbe, le lexique mentionne souvent ses dérivés, plus ou moins indépendants. Terrain fertile en « familles de mots », et propre aux exercices scolaires.

Mais nos deux consonnes suspectes y sont-elles fidèles aux verbes d’origine ?

Certes, perçant, commençant, influençable, remarquable, changeant, négligeable, etc. Mais négligent, négligence, alors que le verbe suggérait des finales en –geant, -geance ?

Et provocant, indicateur, explicable…, tous issus de verbes en -quer ?

Et fabricant, mais trafiquant ?

L’orthographe lexicale est un héritage, où la graphie des mots a été fixée à des époques diverses.

Une régularisation s'est faite sur les verbes (…du premier groupe), au nom de la « grammaire ». Mais les réformateurs ne se sont pas aventurés dans le monde indiscipliné des noms, adjectifs et adverbes…

Histoires...

L’histoire de nos mots, c’est une partie de l’histoire du français ; donc de l’histoire de notre civilisation de francophones.

Pensez aux grands-parents de vos grands-parents… Sans doute parlaient-ils la même langue que vous.

La même, vraiment ? Les comprendriez-vous ? Pas sûr ! Eux, sans doute, non ! « Répète ! Tu parles trop vite ! ». Et des mots qu’ils ne comprendraient pas : la télé, le TGV… la photo… le téléphone ? pas sûr…

De leurs mots que nous ne comprendrions pas ? On m’a dit que les voitures avaient des « bandages », et qu’un « volant » se maniait avec une raquette…

Il y a surtout des mots, toujours bien vivants, qui ont complètement changé de rôle, donc de sens. Ainsi la marche ou la course (à pied, bien sûr !) ; pour vous, une excellente occupation, hygiénique, souhaitable… mais sous le nom de jogging ; pour eux, une partie de la journée, pour gagner le lieu des occupations journalières, et pour regagner « la maison », le soir ; cela jusqu’à l’invention des « 2 roues » (avec « bandages », puis « pneus »), et nos « transports collectifs ».

Autre mot, toujours aussi familier, mais qui ne correspond plus du tout à une même réalité : « lecture ». Il faudra que nous en parlions, un de ces jours (de ces mois, plus exactement).

Pourquoi la consonne finale de certains mots s’amuissent au pluriel ? Par exemple : le f de bœuf s’amuit au pluriel.

1) Corrigez : « s’amuit-elle...? »

2) Réponse : En moyen français, la consonne -S du pluriel était prononcée. Dans des noms comme bœuf, œuf... ou des adj. comme bref, neuf..., la consonne F des pluriels n'était donc pas finale, mais en position faible dans un groupe consonantique – FS, très rare en français. – Dans des mots (noms ou adj.) dont le pluriel est très fréquent (oeuf, p.ex., bcp plus fréquent au plur. qu’au sing.), l’amuissement de cet F a passé dans l’usage (parfois même au sing. dans des locutions comme « un œuf dur ») – L’Académie, en 1694, se souciant peu de prononciation, enregistre seulement la forme graphique (avec F). Ce n’est qu’en 1835 qu'elle a signalé qu'au pluriel de œuf, bœuf, la consonne F est muette, ce qui était le cas depuis plus de 2 siècles. Même phénomène avec le numéral 9 : On amuit couramment l’-F dans « 19 kilos, 29 mètres... », etc.

Pourquoi primesautier ne s’écrit pas : primessautier ?

Pour ce composé, dérivé du nom prime-saut, l’usage a hésité entre deux graphies, dont prime-sautier. En optant pour la soudure, on a conservé au premier terme son orthographe, comme dans d'autres composés récents (type vraiSemblable), et de nombreux composés récents ou occasionnels en pro-, anti-,+ s-, etc. (prosyrien, antisocial…), etc..

Et une histoire d’imbécile

L’adjectif imbecille, d’abord sans accent et avec un double L, emprunté au latin, apparaît au 15e siècle ; il exprime la faiblesse physique du vieillard ou de l’infirme ; puis très tôt son emploi s’étend aux faiblesses de l’esprit, et il s’emploie comme nom, masculin ou féminin, très péjorativement.

L’Académie, en 1762, le dote d’un accent aigu, et abandonne le sens premier : désormais, l’adjectif « ne se dit que par rapport à l’esprit ». Puis, dans la cinquième édition de son Dictionnaire, elle s’avise que la consonne double peut entraîner une prononciation erronée, en « L mouillé », comme on disait alors ; plutôt qu’une mise en garde, elle supprime un des L, et orthographie imbécile. Mais, curieusement, elle conserve la consonne double au dérivé imbécillité, en y ajoutant une indication : « on fait sentir les deux L ».

Un siècle plus tard, Littré s’étonne : « Jusqu'à sa dernière édition, l’Académie avait écrit : imbécille, conformément à l’étymologie. La suppression d'une L dans ce mot est d'autant plus surprenante, qu'on en met deux dans le substantif imbécillité ».

Voilà une de ces bizarreries qui font le bonheur des collectionneurs d’exceptions et des auteurs de dictées-pièges. À juste titre, l’alignement du dérivé sur le mot de base figure dans les rectifications de 1990.

Dans son tome 2 (2000), l’Académie inscrit en unique entrée : imbécilité, avec une note : « s’est écrit longtemps, comme imbécile, avec deux L ».

Notre orthographe lexicale est un héritage dont chaque mot nous vient d’une époque plus ou moins lointaine.